Vers une plateforme liégeoise des libertés
Finalement, qui sommes-nous ? Nous nous posons sérieusement la question car dans notre travail, au Centre Franco Basaglia, nous essayons de réfléchir et d’agir avec les personnes aux prises avec des troubles psychiques quand ceux-ci s’éprouvent comme une souffrance. C’est-à-dire, en définitive, que nous agissons pour chacun, y compris nous-mêmes, puisque la souffrance psychique qui vient nous troubler est une expérience commune à chaque humain. Elle débarque toujours un jour ou l’autre, et s’installe plus ou moins durablement. Mais pour la plupart d’entre nous, nous arrivons à y échapper, à trouver des lignes de fuites pleines de joie, une liberté en quelque sorte. La question devient problématique quand la souffrance psychique est installée de façon assez durable et assez intense au point qu’une personne ne parvienne plus, ou vraiment difficilement, à en sortir. Une personne est enfouie dans la tristesse, ou elle sent que les gens la menace sans cesse, elle entend des voix, des instructions qui l’effraie et la font perdre pied, elle ne parvient plus à se lever, à parler avec confiance… à chacun sa manière de souffrir. C’est lorsque cette souffrance devient envahissante et qu’elle s’emprisonne de plus en plus dans la solitude que nous sommes confrontés à un problème, disons même une énigme car, désormais, il n’y a plus de réponse donnée d’avance. Seule est possible une recherche à effectuer à plusieurs.
Cette énigme, nous pouvons la formuler en terme de liberté. En quoi penser à partir de ce très beau concept de liberté nous aiderait pour résoudre l’énigme de ceux qui restent embarqués de façon trop durable et trop intense dans un trouble psychique qui les fait souffrir ? La liberté est une clé possible. Car c’est par la liberté que je peux affirmer qui je suis :
- parce que je peux accéder à des références culturelles, des savoirs, de l’information qui me permettent de définir ce qui a de la valeur, ce qui m’inspire, ce qui m’affecte dans mes manières de vivre au quotidien
- parce que je peux accéder à des moyens d’expression et de dialogue sur cette identité (un espace très privé avec des amis ou des parents, une relation thérapeutique, une association, un espace public de débat…)
- parce que j’ai les moyens très concrets de mettre en œuvre le fruit de cette réflexion sur qui je suis et ce qui constitue pour moi une vie pleinement humaine : un logement, des relations sociales épanouissantes, travailler, éduquer mes enfants…
Si nous vous avons proposé de voyager sur le territoire de notre ville de Liège, c’est qu’il y a une sorte de drame, qui n’est plus un jeu, dans ces accès à des clés de la liberté. Dans une certaine mesure, les personnes qui ont le plus de difficulté à s’émanciper de leurs souffrances psychiques sont celles qui pourront moins facilement accéder à ces références culturelles, ces lieux de réflexion et d’expression qui permettent de faire avancer l’énigme de qui suis-je et de comment vivre avec les autres. Les lieux à Liège, les ressources à Liège, les personnes à Liège, les institutions à Liège sont fondamentaux pour s’émanciper des souffrances psychiques.
Or fait étrange, il n’existe pas sur le territoire de la ville de Liège un espace commun pour penser et mettre en œuvre ces clés de la liberté. Nous avons certes une richesse d’associations, spécialisées en santé mentale ou non, qui s’investissent pour telle ou telle personne. Mais nous n’avons pas d’espace commun, global, politique, pour se parler et nous organiser. C’est un tel espace que nous voulons créer. Un espace rassembleur avec au moins les personnes concernées le plus intensément par ces troubles psychiques, avec des associations, des institutions qui interagissent avec elles et des représentants d’instances politiques. Au moins avec ceux-là et plus globalement avec tous ceux qui veulent s’impliquer pour offrir des clés de la liberté. Le défi à terme, sera de structurer des politiques sur la ville de Liège : réfléchies ensemble, organisée et mise en œuvre ensemble, pour une part financée ensemble, tout ce qui permet de réaliser une politique locale. Le faire ensemble est une façon de nous réapproprier des choses que nous avons en commun. Humainement en commun, telle une souffrance psychique qui vient nous troubler et nous invite – toujours – à nous mettre en relation pour chercher à s’en émanciper.
Nous vous donnons rendez-vous le vendredi 28 juin à 12h30 pour cette première rencontre de la plateforme liégeoise pour la liberté au CRIE de Liège – Parc du Jardin Botanique – 3 rue Fusch – 4000 Liège.