Les 10 propositions politiques du Mouvement pour une psychiatrie démocratique dans le milieu de vie

Le Mouvement pour une psychiatrie démocratique dans le milieu de vie soutient des propositions politiques réfléchies à partir du quotidien de la vie des personnes aux prises avec des souffrances psychiques.
Ce Mouvement associe des forces socio-politiques et des citoyens dans les transformations sociales et affectives auxquelles nous invitent les problèmes de santé mentale.
Aujourd’hui, le Centre Franco Basaglia porte le cahier de propositions politiques du Mouvement. Il coordonne les différentes réflexions et groupes reliés aux propositions avec le soutien des différents acteurs concernés.
RECONNAISSANCE ET ÉMANCIPATION
01 – Reconnaître et développer des Centres de Jour à Activités Structurées (C.J.A.S.)
Reconnaître et développer des Centres de Jour à Activités Structurées. Ceux-ci permettent à leurs bénéficiaires de déployer leur vie en société. Ils sont une opportunité pour développer des savoirs et des rôles sociaux dans des milieux choisis relatifs à la vie sociale, culturelle, économique ou politique. Ils permettent une expression et une réceptivité sociale des choix et des modes de vie des bénéficiaires. Ces missions se réalisent grâce à des activités collectives et des rencontres.
Les Centres de Réhabilitation Psychosociale (C.R.F.) (conventions I.N.A.M.I 7.72 et 7.73 pour les personnes dépendantes) sont la base institutionnelle sur laquelle cette proposition s’est développée. Ces centres sont peu nombreux, saturés, mal répartis sur le territoire : 286 places (172 en convention 7.72 et 114 en convention 7.73) à Bruxelles, 229 places (111 en convention 7.72 et 118 en convention 7.73) en Région wallonne (données de 2012). La compétence a été transférée aux Régions lors de la 6ième réforme de l’État. Un décret/ordonnance est dès lors à établir.
Il s’agit d’établir un décret/une ordonnance qui reconnaisse et développe des Centres de Jour à Activités Structurées (C.J.A.S.). Les bénéficiaires prioritaires d’un C.J.A.S. sont des personnes qui bénéficient ou ont bénéficié d’un processus d’aide en santé mentale, en veillant à pouvoir inclure celles dont les difficultés psychiques, sévères ou persistantes, interrogent de façon plus troublante le contexte social, culturel et politique. Les C.J.A.S. offrent des opportunités pour développer des relations sociales et affectives, des savoirs et des rôles sociaux, des attitudes de responsabilité et de participation dans des milieux choisis relatifs à la vie sociale, culturelle, économique ou politique. Ils devraient permettre une expression et une réceptivité sociale des choix et des modes de vie des bénéficiaires Ces missions se réalisent en mobilisant des processus expérientiels dans des activités collectives et des rencontres. Ceux-ci permettent aux bénéficiaires de rechercher et préciser ce qui est déterminant pour améliorer leur vie quotidienne et les environnements sociaux dans lesquels ils souhaiteraient exister. Afin de permettre l’expression de la voix des bénéficiaires, il appartient aux missions des C.J.A.S., d’impliquer les bénéficiaires dans l’organisation et l’évaluation de la structure. Il s’agit également d’être un relais des propositions qui répondent aux besoins des bénéficiaires relatifs à leur participation de plein droit dans des milieux relatifs à la culture, au loisir ou à l’activité économique. Les C.J.A.S. sont amenés à développer des alliances qui permettent cette participation de plein droit dans des organismes de la vie sociale, culturelle, économique ou politique. Ils négocient également avec les bénéficiaires des modalités de participation des proches et des familles.
02 – Reconnaître et développer les associations d’usagers de services de santé mentale
Reconnaître et développer les associations d’usagers des services de santé mentale. Celles-ci permettent à leurs membres la mise en commun de leurs expériences et connaissances, le développement d’un réseau social et de processus d’entraide. Elles exercent aussi une fonction représentative des usagers auprès des institutions et décideurs politiques. Une fédération d’association permet leur mise en réseau et de leur apporter un support administratif et pédagogique.
Des associations d’usagers en santé mentale existent en Wallonie et Bruxelles. Une fédération, Psytoyens, est subventionnée actuellement à titre provisoire et pilote. Elle fédère plusieurs associations. Il n’existe pas de décret pour agréer et subventionner ces associations et fédérations.
Il s’agit d’établir un décret/une ordonnance qui reconnaisse et développe les associations d’usagers de services de santé mentale et leur fédération.
Les usagers de services de santé mentale sont des personnes qui utilisent les services et organisations agréés pour opérer dans le champ de la santé mentale (hôpitaux psychiatriques, services de santé mentale, habitations protégées, …).
Les associations d’usagers organisent avec leurs membres des activités qui ont plusieurs fonctions. Des fonctions préventives, c’est-à-dire susceptibles d’agir sur les causes des difficultés rencontrées par les usagers qu’elles réunissent et sur leur manque de reconnaissance sociale. Des fonctions sociales, c’est-à-dire susceptibles d’agir sur les situations de solitude, de discrimination, de perte d’autonomie ou d’exclusion rencontrées par les usagers. Des fonctions représentatives, c’est-à-dire qui leur permettent de représenter les usagers devant les professionnels de la santé, les services publics et les décideurs politiques.
Les associations ont différents moyens d’action. Il peut s’agir d’un travail de groupe et de projets collectifs visant la mise en commun des expériences et des connaissances, le développement d’un réseau social et la mise en place d’un processus d’entraide. Elles peuvent organiser des accompagnements plus individualisés. Elles peuvent constituer un lieu d’élaboration de prises de position ou de propositions relatives aux situations concernant les usagers. Elles peuvent soutenir la formation de comité d’usager au sein des différents services de santé mentale.
Une fédération d’association d’usagers de services de santé mentale est un regroupement d’association d’usagers ayant pour mission de coordonner leur mise en réseau et de leur offrir une aide administrative et pédagogique, notamment grâce à des processus de formation.
03 – Reconnaître et développer des services d’accompagnement dans l’emploi
La possibilité d’avoir un emploi pour les personnes qui souffrent de troubles psychiques permet d’ouvrir à une reconnaissance de leur contribution sociale dans une organisation. Cela est déterminant dans leur processus de santé, l’amélioration de leur situation économique et la citoyenneté réciproque de ces personnes et de leurs employeurs. Pour ce faire, il s’agit de reconnaître et de développer des équipes qui accompagneraient ces personnes dans l’emploi selon des méthodes adaptées à leurs spécificités et aux exigences des entreprises.
Un programme pilote appelé « activation » a été initié par le gouvernement fédéral en 2003. Il a été repris à partir de 2005 par la Région wallonne en se focalisant sur l’accompagnement de personnes qui souffrent de troubles psychiques dans l’emploi. Deux associations sont actuellement subventionnées par la Région wallonne dans le cadre de conventions concertées entre trois cabinets (Emploi, Formation, Action sociale et santé) : Article 23 asbl et l’A.I.G.S.
La possibilité d’avoir un emploi pour les personnes qui souffrent de troubles psychiques permet d’ouvrir à une reconnaissance de leur contribution sociale dans une organisation. Cette reconnaissance contribue à l’estime de soi et améliore le processus de santé et de bien-être. Elle a aussi un impact plus sociétal. Elle met en valeur les capacités des personnes, alors que souvent celles-ci sont vues sous l’angle de leurs insuffisances, voire stigmatisées en insistant sur leurs nuisances réelles ou souvent imaginaires. La mise à l’emploi transforme les regards, elle ouvre à l’inclusion en permettant une contribution économique et sociale à notre société. C’est-à-dire qu’elle renforce la citoyenneté.
Les processus de mise à l’emploi ne réussissent qu’à condition de prendre en compte à la fois les personnes qui souffrent de troubles psychiques et les employeurs. Le travail d’accompagnement prend en compte les intérêts de ces deux parties. Il veille à ce qu’une dynamique bienveillante s’installe dans l’organisation envers le nouvel employé.
La proposition est de reconnaître et de développer des équipes de 5 ou 6 équivalents temps plein par territoires de 200 000 habitants. Ces équipes ont pour mission d’agir directement sur la mise à l’emploi et les accommodements de travail nécessaires dans l’entreprise. Elles mettent en oeuvre un processus qui aide la personne à cerner ses intérêts professionnels et à comprendre le marché du travail, à apprendre des stratégies de recherche d’emploi puis finalement à durer dans l’emploi qu’elle a obtenu. Ce suivi est individualisé, même s’il utilise des méthodes de groupe. Il est à durée indéterminée, c’est-à-dire qu’il se prolonge autant de temps que nécessaire.
Ces équipes ont également pour mission de développer autour d’elles et des personnes qu’elles accompagnent un ensemble de partenariats essentiels à la mise en oeuvre de cette mise à l’emploi. Trois types d’acteurs sont particulièrement déterminants : les employeurs actuels et potentiels, les opérateurs de formation et d’insertion, les professionnels de la santé.
04 – Encourager les partenariats entre les services de soins de santé mentale et les dispositifs d’émancipation par la culture
Renforcer les processus de transformation des représentations culturelles et médiatiques des problèmes de santé mentale, et plus spécifiquement psychiatriques, en encourageant les partenariats avec les dispositifs culturels d’expression et d’émancipation.
Plusieurs agréments reconnaissent des services culturels susceptibles de réaliser un travail durable d’expression et d’émancipation impliquant les personnes avec des souffrances psychiques : notamment les services d’Éducation permanente (décret du 17 juillet 2003) et les Centre d’expression et de créativité (décret du 30 avril 2009).
Avant d’être prise en compte comme une maladie, la souffrance psychique demande à être activement contextualisé, condition indispensable à son intelligibilité et à la mise en oeuvre de réponses adéquates. Sans cette recherche d’une compréhension contextuelle, la souffrance psychique, ramenée à une fragilité individuelle, est amputée de son pouvoir d’interrogation sur le social et la personne est dépouillée de son rôle d’acteur sur les questions citoyennes que posent les problèmes de santé mentale. D’autant plus que les représentations culturelles dominantes stigmatisent les personnes avec des problèmes psychiatriques en leur attribuant, à tort, une dangerosité plus élevée que dans l’ensemble de la population.
Il s’agit dès lors de transformer les représentations culturelles et médiatiques des problèmes de santé mentale en impliquant les personnes concernées, en favorisant des rencontres, en leur permettant de s’exprimer et de réfléchir avec différentes composantes de la société. Parmi les diverses voies possibles, les dispositifs culturels dont l’enjeu est de permettre des dynamiques d’émancipation sont un appui indispensable. Les différentes institutions qui établissent leurs rencontres à partir du soin et de la santé mentale devraient pouvoir aussi collaborer avec celles qui développent ce travail socioculturel.
Des partenariats devraient être établis entre :
- les services directement impliqués dans les soins de santé mentale (les hôpitaux psychiatriques, les habitations protégées, les maisons de soins psychiatriques, les centres de réhabilitation psychosociale, les services de santé mentale, les maisons médicales, les centres de coordination de soins à domicile, notamment).
- les services culturels qui favorisent le développement culturel et l’émancipation des individus et des groupes (services d’éducation permanente, centre d’expression et de créativité, notamment).
- les médias.
HOSPITALITÉ
05 – Développer des Dispositifs intégrés de santé mentale
Permettre des Dispositifs intégrés de santé mentale qui prolongent les capacités des Services de santé mentale existants de manière à (1) instituer des espaces collectifs d’hospitalité indispensables aux processus de soin et d’émancipation ; (2) mobiliser la communauté et les acteurs de la société à rendre des moyens d’exercer les droits d’une vie pleinement humaine ; (3) prendre soin de problèmes qui demandent de s’investir plus intensivement (troubles sévères persistants, situations aiguës) et (4) créer des unités résidentielles de crise qui permettent une distanciation tout en restant dans une approche contextuelle.
Proposition mise à jour en janvier 2020.
Compte tenu des membres actifs en 2020 dans cette plateforme et de l’évolution du contexte législatif et institutionnel, ce contexte est encore à retravailler au sein de la plateforme. Ceci explique qu’il ne soit pas défini actuellement.
Nous proposons de permettre des Dispositifs intégrés en santé mentale. Ils seraient composés de 5 unités en interface dont l’intensité d’intégration et d’articulation devrait être organisée localement. Ces unités sont des équipes qui toutes sont responsables des processus thérapeutiques et des dispositifs de concertations sociales qu’ils impliquent. La perspective est d’élargir la base des aides et des soins de santé mentale dans les milieux de vie en s’appuyant sur des services existants et en les développant de manière à intégrer :
- Des espaces collectifs d’hospitalité indispensables aux processus de soins ou au ressourcement des entourages, des professionnels des secteurs de la santé et du social et, plus largement, de la communauté. Ces espaces associent tous ceux qui veulent faire hospitalité aux troubles psychiatriques et psychosociaux et mettre en œuvre des processus d’émancipation personnels et collectifs. Ils permettent d’élaborer des responsabilisations partagées et de les articuler. Cette fonction collective d’hospitalité serait portée par les travailleurs de chacune des parties du dispositif intégré. Un temps de travail et un financement pour cette fonction seraient prévus parmi ces différents services.
- Des équipes qui mobilisent ce qui peut faire soin dans la communauté pour les personnes aux prises avec des souffrances psychiques et qui travaillent avec les acteurs de la société à donner à ces personnes les moyens effectifs d’exercer leurs droits. Ces équipes accomplissent leur mission à partir de ce qui existe dans la société et qui pourrait renforcer ce qui fait soin et conduire à l’accomplissement d’une vie pleinement humaine. Ce faisant, les dispositifs intégrés de santé mentale peuvent s’ouvrir à un accueil inconditionnel des demandes amenées par les personnes éprouvant des souffrances psychiques, tout en articulant ces demandes aux responsabilités des acteurs sanitaires, sociaux, culturels et économiques.
- Des services de santé mentale où le cadre du personnel serait substantiellement élargi de façon à le mettre en correspondance avec les missions qu’il est censé réaliser vis-à-vis de la population.
- Des équipes mobiles qui permettent d’inscrire les processus thérapeutiques dans les contextes où ils se déroulent et dont les interventions visent à prendre soin autant des personnes en souffrance psychiatrique que de leurs entourages :
- Des équipes mobiles de suivi des personnes souffrant de pathologies sévères et persistantes.
- Des équipes mobiles pour les situations aiguës qui peuvent se déplacer dans un délai raisonnable qui prenne en compte l’urgence plus ou moins élevée de la situation.
5. Des unités résidentielles de crise qui offriraient un encadrement intensif et continu, tout en permettant une proximité avec les milieux de vie, une connaissance des ressources locales par les soignants et l’adaptabilité que permet la dimension réduite des équipes. Ces unités de quelques lits fonctionneraient 24h24
06 – Créer une fonction de liaison santé mentale dans la première ligne de santé
Organiser et financer une fonction de liaison en santé mentale spécifique aux centres de santé intégrés, aux centres de coordination de soins à domicile, aux services d’aides familiales, et aux réseaux de soin de première ligne. Instituée dans la première ligne de santé, cette fonction doit toujours être adossée à au moins un service de santé mentale qui devient le partenaire indispensable pour réaliser les objectifs de cette fonction de liaison. Ces objectifs seraient de renforcer à partir de la première ligne la prise en compte transversale des aspects de santé mentale au sein de la population ; de développer les conditions de l’amélioration de la référence vers la deuxième ligne spécialisée ; de soutenir, sous l’angle de la santé mentale, une fonction de synthèse assurant la globalité et la continuité des soins ; d’articuler des pratiques innovantes d’action communautaire.
Des décrets organisent les centres de santé intégrés, les centres de coordination de soins à domicile et les services d’aides familiales.
Le système de santé mentale se crée grâce à l’articulation des soins de référence spécialisés avec la première ligne. Cette dernière correspond non seulement au premier niveau du système de soins (médecin généraliste, maison médicale, coordination de soins à domicile, …), mais aussi à l’ensemble des ressources personnelles et communautaires. Cette première ligne est dès lors le lieu primordial de l’expression initiale de la demande d’aide. Y proposer des soins implique de s’intéresser aux relations et aux contextes plus globaux des déterminants de la santé. Ce travail demande un réseau/équipe pluridisciplinaire, c’est-à-dire un groupe de personnes entraînées à déployer une pensée pluraliste et à pratiquer des consultations conjointes. Dans ce réseau/équipe de première ligne, tous les niveaux de soins sont à prendre en compte, sans hiérarchie, ce qui permet de pointer l’attention sur des activités ou des ressources ignorées ou tenues pour négligeables mais qui se révèlent centrales. Cette mise à jour des formes non-reconnues du soin est potentialisée grâce à une culture de travail où l’égalité reste une valeur centrale, tant au sein du réseau que par rapport aux patients et à leurs collectifs.
Les objectifs de cette fonction de liaison pourraient être de co-construire un partenariat avec un (ou plusieurs) service(s) de santé mentale qui permette de :
- Développer les interfaces et les liaisons sociales tant avec le secteur des soins spécialisés en santé mentale qu’avec le monde associatif et de l’action sociale. Ces articulations permettraient (1) d’assurer, dans l’équipe/le réseau, la prise en compte transversale des aspects de santé mentale au sein de la population ; (2) de développer, en interne et vers l’extérieur, les conditions de l’amélioration de la référence vers la deuxième ligne spécialisée.
- Déployer la continuité des soins comme caractéristique spécifique de la première ligne généraliste conjointement et en complémentarité avec les soins spécialisés ; une finalité de ces derniers est de soutenir cette continuité de base, ils restent dès lors dans une position de subsidiarité qui implique de leur part un retrait et une discontinuité des soins qu’ils donnent quand les usagers et la première ligne généraliste deviennent plus autonomes.
- Développer des pratiques d’action communautaire en santé mentale qui s’appuient sur les ressources de la personne et son expertise (experts de vécu, pairs-aidants, …)
07 – Renforcer une clé de l’échelonnement : entre l’hôpital et la fonction de liaison santé mentale de la première ligne de santé
Dans une politique d’échelonnement qui vise à donner les soins au niveau compétent le plus proche des bénéficiaires, un point clé est l’articulation entre la première ligne en santé et les hôpitaux. Des incitants financiers et/ou réglementaires devraient encourager cette articulation en conditionnant l’admission en hôpital psychiatrique à une concertation préalable et continue avec la fonction de liaison santé mentale de la première ligne en santé du territoire.
Il n’existe aucune incitation réglementaire ou financière à organiser un échelonnement dans le système actuel de santé mentale.
Une politique d’échelonnement permet de se donner des repères sur les lieux qui peuvent faire soin. L’orientation est de réaliser les soins au niveau compétent le plus proche des bénéficiaires. La proximité permet d’inscrire les soins dans des contextes plus globaux en termes de santé et plus riches en relations. La première ligne renvoie non seulement au premier niveau du système de soin (médecins généralistes, maisons médicales, infirmiers, centres de coordinations de soins à domicile, …), mais aussi à l’ensemble des ressources personnelles et communautaires.
La personne qui souffre d’un problème de santé mentale ou d’une pathologie psychiatrique montre sa difficulté d’habiter son corps, sa maison, son travail, ses relations. Le symptôme est avant tout une donnée que le soignant peut lire comme une indication sur les failles qui sont ouvertes dans le paysage de la personne. A travers le symptôme, la personne nous invite à nous engager dans un travail d’élaboration à la fois individuel, communautaire et politique. Cela amène le soignant à bouger, à entrer dans le paysage en question, à investir le territoire sur lequel il est amené à intervenir, à s’inscrire dans les milieux de vie. Les processus de délégation trop rapide aux services les plus spécialisés ont pour effets délétères collatéraux la stigmatisation qui est parfois définitive : il n’est pas facile de sortir des circuits psychiatriques et de leur étiquetage une fois que l’on y est entré. D’un point de vue thérapeutique, les interventions gagnent à être réfléchies à la faveur des dynamiques que permettent les contextes de vie. Un retrait mal négocié de l’environnement familier peut compromettre les processus thérapeutiques en cours.
Dans cette politique d’échelonnement, un point clé est l’articulation entre la première ligne en santé et les hôpitaux. Quand une hospitalisation psychiatrique s’avère nécessaire, elle gagne à être préalablement concertée avec la fonction de liaison santé mentale de la première ligne en santé du territoire.
La nature libérale de notre système de santé permet d’entrer par toutes les portes. Cette articulation est donc à produire par les acteurs eux-mêmes. Des incitants financiers et/ou réglementaires devraient encourager la mise en oeuvre de ce point clé d’une politique d’échelonnement.
08 – Instaurer un forfait hospitalier comme outil de reconversion
La logique actuelle de financement des hôpitaux psychiatriques conduit à une gestion qui se focalise sur l’occupation des lits. Elle réduit les marges de manoeuvre pour reconvertir les moyens financiers et le personnel vers d’autres approches dans les milieux de vie. Le remplacement du financement actuel par un forfait hospitalier permettrait de renforcer les initiatives des hôpitaux psychiatriques dans les dynamiques de reconversion.
Le calcul du Budget et Moyens Financiers (B.M.F.) des hôpitaux psychiatriques diffère du B.M.F. des hôpitaux généraux en ce qu’il est resté essentiellement dépendant des lits agréés sur lesquels pèsent un taux d’occupation. Aujourd’hui, la majeure partie des moyens financiers des politiques de santé mentale est attribuée aux hôpitaux psychiatriques. Un rééquilibrage vers les services des milieux de vie implique de trouver les formules de financement qui permettent des transitions progressives.
La perspective est de donner les moyens aux hôpitaux psychiatriques de s’investir dans le renforcement structurel des services des milieux de vie : dans les Services intégrés de santé mentale, dans les Centres de jour à activités structurées, dans la fonction de liaison de la première ligne en santé, plus globalement dans le forfait territorial des Groupement locaux pour la santé mentale. Ces structures sont autant d’occasions pour reconvertir le personnel et les moyens financiers de l’hôpital psychiatrique dans les services de demain.
Un point clé est d’alléger les hôpitaux psychiatriques des contraintes qui pèsent sur la gestion, notamment le financement relié aux lits agréés, de manière à réaffecter les financements et le personnel. La proposition est de poser comme principe une neutralité budgétaire de manière à assurer les moyens financiers et l’emploi tout en les utilisant différemment.
L’autre point clé se situe au niveau du développement territorial. Le législateur doit préparer le cadre des services dont la population pourra bénéficier. Notamment, de façon évidente, en ce qui concerne les Services intégrés de santé mentale, les Centres de jour à activités structurées, la fonction de liaison de la première ligne en santé, les Groupement locaux pour la santé mentale avec leur équipe cadre et leur Conseil local pour la santé mentale.
Les hôpitaux psychiatriques pourraient ainsi participer au développement progressif du cadre structurel qui correspond aux besoins du territoire.
JUSTICE SOCIALE
09 – Élaborer les politiques de santé mentale en référence à des territoires
Les territoires permettent d’organiser les structures que nous voulons mettre à disposition de la population. Définir des territoires de première proximité et de moyenne proximité permet d’ouvrir un éventail de libertés sur ce qui peut faire soin et faire vie dans le quotidien.
Le territoire est une dimension incluse dans la programmation de différents services de santé : les Services de santé mentale, les Associations de santé intégrées, les Centres de coordination de soins et d’aide à domicile, les Réseaux d’aide et de soins spécialisés en assuétudes, les Plates-formes de concertation en santé mentale, les Services intégrés de soins à domicile, … Ces territoires ne sont pas toujours les plus pertinents, ni agencés entre eux.
Les politiques de santé mentale gagnent à être élaborées en référence à des territoires. Ces dimensions territoriales doivent être organisées dans des décrets/ordonnances.
Se reporter à des territoires revient à se tourner vers les personnes et les ressources qui les font vivre. Les personnes en souffrance psychique souhaitent comme chacun avoir des possibilités de vivre une vie pleinement humaine. Elles souhaitent des rencontres qui ouvrent des processus réflexifs sur les manières de vivre leur vie. Les relations de soin en sont une occasion. Mais elles souhaitent plus concrètement que leur vie puisse se réaliser dans le quotidien. La liberté se révèle alors par des possibilités de s’épanouir dans des relations sociales et affectives, par des possibilités d’habiter un logement, par l’accès à une éducation, par des occasions de se former pour agir notamment dans des activités économiques, etc. La liberté progresse quand on peut faire le constat que chaque personne peut, dans son contexte quotidien, raccrocher les soins à des possibilités d’une vie pleinement humaine.
Les territoires de première proximité (± 50 000 habitants) incluent les services pour lesquels la proximité est un élément déterminant pour que des relations puissent avoir lieu dans la vie quotidienne : les Services intégrés de santé mentale, la première ligne de santé, …
Les territoires de moyenne proximité (± 250 000 habitants) incluent l’ensemble des services qui contribuent à la liberté des personnes en souffrance psychique au-delà de ceux déjà offerts en première proximité : Centres de jours à activité structurées, dispositifs de insertion, groupement d’usagers, associations de proches, soins résidentiels, services d’urgences supplétifs, habitations protégées, …
Les territoires de moyenne proximité bénéficient de moyens propres pour élaborer et mettre en oeuvre leur politique de santé mentale (voir proposition : Groupements locaux pour la santé mentale).
Il existe un troisième niveau de territoire où se font les politiques de santé mentale : les Régions et le Fédéral. Ces niveaux établissent le cadre législatif des services et déterminent les dimensions territoriales qui servent leur programmation.
10 – Créer des groupements locaux pour la santé mentale
Les Groupements locaux pour la santé mentale rassemblent l’ensemble des acteurs en santé mentale des territoires de première et moyenne proximité. Ils ont des moyens propres (forfait territorial). Ils sont gouvernés par un Conseil qui apporte de la démocratie locale et de la justice sociale dans les politiques de santé mentale.
Il existe depuis 1990 des Plates-formes de concertation en santé mentale organisées sur l’ensemble du territoire du Royaume. Il existe dans le cadre des projets 107 des réseaux en place à titre pilote et qui devraient à l’avenir être organisés par une législation.
Les Groupements locaux pour la santé mentale permettent d’ajouter au cadre structurel de services des moyens supplémentaires qui permettent de mettre en oeuvre une politique locale de santé mentale sur les territoires de première et moyenne proximité.
Intégration des opérateurs. Les Groupements locaux pour la santé mentale rassemblent l’ensemble des acteurs qui oeuvrent à la liberté des personnes qui vivent des souffrances psychiques. Il peut s’agir des services spécialisés en santé mentale, la première ligne de santé, des associations d’usagers et de familles, des opérateurs de l’insertion, de l’habitat, de la culture. Cet ensemble de services gagne à être organisé de façon intégrée. Un enjeu qui sous-tend le concept d’intégration des services est de pouvoir améliorer la situation des personnes dont les problèmes complexes nécessitent des appuis divers et impliquent que se rencontrent les savoirs et les acteurs. Au niveau des usagers, il s’agit de leur permettre une appréhension globale de leur situation et d’ouvrir des possibilités suffisamment diversifiées de cheminer. Au niveau du système, l’intégration implique une responsabilité partagée des acteurs vis-à-vis des usagers.
Conseil local pour la santé mentale. Chaque territoire de moyenne proximité dispose d’un Conseil local qui a pour mission : la définition du projet de politique de santé mentale du territoire dont le Groupement devra assurer la mise en oeuvre, le contrôle de la mise en oeuvre du projet territorial, le vote du budget du Groupement et le contrôle de son exécution. La composition du Conseil pourrait, par exemple, se composer de conseillers communaux, conseillers de l’Aide sociale, représentants des mutuelles, syndicats, groupements d’usagers et des familles, associations locales, représentants des membres du Groupement.
Equipe cadre. Chaque Groupement local pour la santé mentale dispose d’une équipe cadre. Celle-ci agit de concert avec les opérateurs pour élaborer des stratégies territoriales en santé mentale, faire des propositions sur l’allocation des ressources financières et humaines, élaborer des procédures de collaborations, évaluer les stratégies territoriales en santé mentale, réaliser des plans de formation.
Forfait territorial. Au-delà des financements propres à chacun des services, les Groupements disposent de moyens propres : un forfait territorial qu’il peut affecter pour renforcer les structures existantes, créer des projets spécifiques et employer une équipe-cadre.