L’information à travers le prisme de la presse généraliste
Auteur : Christophe Davenne, médiateur culturel et animateur au Centre Franco Basaglia
Résumé : La richesse d’une information réside dans l’utilisation de termes clairs et précis, reflétant la réalité des événements et ôtant toute possibilité de doute et de confusion chez le récepteur quant à la nature de ceux-ci. La presse généraliste, par définition non spécialisée, s’empare régulièrement de sujets sensibles et complexes. L’urgence dans laquelle l’information est traitée empêche le plus souvent un approfondissement par les connaissances et la confrontation de sources, aboutissant à véhiculer des stéréotypes.
Temps de lecture : 15 minutes
En fonction de l’actualité, la presse généraliste (par définition non-spécialisée) met régulièrement en lumière des minorités (individus, groupes, institutions) de toutes origines sociales et culturelles, leur donnant la parole et la possibilité d’être représentées auprès du grand public, cœur de cible de la presse généraliste. Cette médiatisation est souvent produite dans l’urgence, comparable à une réaction à chaud au sujet d’un fait de société.
Dans de telles conditions, il est particulièrement difficile pour le journaliste de mener une enquête plus en profondeur avant de manier sa plume et de toucher une audience plus ou moins large. L’information au 21ème siècle doit circuler vite, avoir une visibilité maximale, toucher le plus grand nombre d’individus qui la répercuteront autour d’eux (tâche d’autant plus aisée avec l’apparition des réseaux sociaux et des itérations web de la plupart des médias généralistes). Ces impératifs de rentabilité ne permettent donc pas (plus ?) aux journalistes de la presse généraliste de se familiariser avec les spécificités de ces minorités que l’actualité place sous le feu des projecteurs. Ces spécificités résident autant dans leur manière de fonctionner que dans leurs codes, leurs valeurs ou encore dans le lexique propre à leur action. Ne pas prendre en compte ces éléments revient à amputer l’information d’une partie importante de son contenu, véhiculant un savoir tronqué auprès du public, au risque de desservir les parties impliquées, créant dès lors un sentiment de méfiance réciproque.
Dans le cadre de leur travail d’information, il s’agit donc pour les journalistes, médiateurs entre le public et les faits, de rapporter l’information dans sa globalité de la manière la plus précise et impartiale possible. Il n’existe pourtant pas de vérité absolue ni de possession de cette vérité, mais tendre à la rechercher tout en respectant de manière inconditionnelle les faits et les personnes constitue l’essence même du journalisme, quel que soit le type de média abordé/utilisé.
La perception que l’on se fait du monde qui nous entoure est nourrie par les informations portées à notre connaissance, comme autant de moyens de le comprendre. Toute information oriente la pensée de celui qui la reçoit. Il est donc nécessaire de veiller à la qualité du message véhiculé. Au-delà des faits, la richesse d’une information réside dans l’utilisation de termes clairs et précis, reflétant la réalité des événements et ôtant toute possibilité de doute et de confusion chez le récepteur quant à la nature de ceux-ci mais lui donnant de nouveaux moyens de comprendre le monde qui l’entoure en nourrissant sa vision.
Il est des sujets délicats à traiter, non seulement à cause de leurs tenants et aboutissants, mais aussi parce qu’ils relèvent d’un lexique ayant une signification dans une discipline particulière. La santé mentale en est un bon exemple. Relayés médiatiquement à la moindre occasion, un certain nombre de ces termes relevant du secteur semblent pourtant connus de tous. On peut, par exemple, régulièrement lire/voir/entendre que la dépression est le mal du siècle ou encore que l’on serait tous dépendant de quelque chose (téléphone portable, internet, shopping, etc.). On entend ça et là parler de schizophrénie et on se traite de « schizos » jusque dans les cours de récréation, à croire que c’est un mot à la mode. Pas certain qu’on sache ce qui se cache exactement derrière ces termes… tant que les médias généralistes ne se donnent pas la peine de les définir précisément, ils courent le risque d’agir comme autant de miroirs déformants.
Pascal Colson est co-président de l’asbl Psytoyens[1] :
« Il y a effectivement – et plus que régulièrement – un problème d’utilisation du vocabulaire lié à la santé mentale par la presse généraliste, ce qui fausse l’information, induit les gens en erreur et contribue à alimenter la stigmatisation dont souffrent les personnes qui ont des problèmes de santé mentale. On ne peut donc pas parler de vérité. Je ne pense pas que ce problème soit volontaire mais il provient sans doute d’un manque d’information, de connaissances. »
Construire l’information
Henri Delroz, Psytoyens :
« Les médias accordent une grande importance à l’effet d’annonce. Il est plus facile pour eux d’utiliser, par exemple, le terme ‘schizophrène’ en parlant d’une personne ayant commis un acte criminel, quelles qu’en soient les motivations, plutôt que de situer l’acte dans le contexte de vie de la personne. Le public sait plus ou moins ce qu’est un schizophrène, donc ça lui parlera peut-être plus et le captivera plus facilement que si le journaliste avait utilisé le terme le plus approprié à la situation. »
Nous touchons ici à un point sensible du métier de journaliste : la construction de l’information. Ce n’est pas une tâche simple car cette information va engendrer des réactions auprès du public qui va la recevoir, réactions que le journaliste ne peut en théorie ni jauger ni prévoir. Il en va de sa responsabilité éthique de produire une information qui, si elle peut servir des intérêts particuliers, ne doit pas desservir l’intérêt général[2], et doit même s’en soucier en respectant la diversité des points de vue et en pointant le réel dans sa complexité. Nous l’avons vu plus haut, la construction de l’information dans la presse généraliste se fait le plus souvent dans l’urgence, avec des délais plus que serrés à devoir impérativement respecter. C’est une course à l’audimat qui ne dit pas son nom. Or, la rapidité avec laquelle l’information va être mise en forme empêche le plus souvent un approfondissement par les connaissances et la confrontation[3] de sources, aboutissant à véhiculer des stéréotypes, allant à l’encontre-même de la définition de l’information, à savoir relater des faits, renseigner, de manière impartiale, complète et précise.
« En tant qu’usager de services de santé mentale, je me sens souvent agressé par des propos tenus par certains journalistes – explique Pascal Colson -. Le manque de connaissances du monde de la santé mentale est parfois flagrant. Et on rajoute à cela une enquête minime sur le sujet abordé, et au final ça donne une information qui joue sur l’émotion et qui est loin de la réalité. Les mots ne sont pas appropriés à la situation. Mais qui s’en rend compte si ce n’est ceux qui le vivent au quotidien ? »
Marie-Céline Lemestré, coordinatrice de Psytoyens :
« Pour prendre un exemple concret : tout le monde se souvient du drame de Termonde qui a eu lieu en 2009. Un jeune homme est rentré dans une crèche et a tué 2 bébés et une puéricultrice. Les médias ont directement parlé de schizophrénie, sans même savoir quel était le diagnostic du meurtrier, si diagnostic il y avait. Mais c’est trop tard, le mal est fait. Le terme ‘schizophrénie’ a été associé à cet horrible drame. Le public va le retenir et sans une démarche de réflexion de sa part, il assimile directement la schizophrénie et les schizophrènes à un danger potentiel. Les journalistes n’avaient pas de diagnostic et ont catalogué la personne sans se douter des conséquences pour les personnes souffrant de cette maladie. Si c’est pour faire de l’audimat ou du lectorat, parler de meurtre aurait suffi. »
Dans cet exemple, les conséquences de telles ‘révélations’ journalistiques, couplées à un mauvais emploi du lexique de la santé mentale se révèlent catastrophiques pour les acteurs de terrain qui, comme l’asbl Psytoyens, œuvrent en permanence pour faire évoluer la culture de la santé en luttant pour une déstigmatisation des personnes souffrant de problèmes de santé mentale. Des années de travail pédagogique passées à tenter de changer les mentalités peuvent aisément être réduites à néant à cause d’un fait divers défrayant la chronique dont le caractère complexe est traité de manière succincte, dans un survol véhiculant des stéréotypes et usant de raccourcis (cfr. Le drame de Termonde évoqué plus haut), diffusée à grande échelle, ancrée et relayée par chaque personne en étant le récepteur.
Marie-Céline Lemestré :
« Il y a toujours un travail de sensibilisation de toute la population à effectuer. C’est aussi ce que l’on attend des journalistes. Nous voulons qu’ils abordent les questions de santé mentale avec des informations correctes et un vocabulaire juste et précis. Si ils ne le font pas convenablement, à nous de trouver d’autres moyens pour que le grand public soit familiarisé avec le monde de la santé mentale et qu’il arrive à mieux ‘lire’ ce que les médias, et plus particulièrement la presse généraliste, véhicule Après tout, nous vivons une époque où une personne sur quatre souffrira d’un problème de santé mentale au cours de son existence. C’est clairement l’affaire de tous. »
C’est peut-être là que se situe la clé : prendre la distance nécessaire pour pouvoir poser un regard critique sur les médias grâce auxquels chacun nourrit son savoir. L’information n’est pas le savoir. Le savoir repose pourtant sur l’accès à l’information mais ne s’y résume pas. Il est avant tout une histoire de « Je », une prise de risque permanente visant à réviser ses croyances et l’interprétation que l’on se fait du monde et de soi-même.
Références
[1] Psytoyens rassemble des associations et des groupements d’usagers de services de santé mentale, pour les promouvoir, pour les soutenir, mais aussi pour informer les usagers et défendre leurs intérêts auprès des pouvoirs publics. Psytoyens chercher à contribuer au développement d’idées comme l’autonomie et le respect des choix de la personne, l’écoute, l’accès à l’information ou encore l’importance de la prise en compte de l’avis des usagers pour améliorer la qualité des services. Site internet : www.psytoyens.be.
[2] Jean-Luc Martin Lagardette, Le guide de l’écriture journalistique, Paris, La Découverte, 2009, p. 20.
[3] Dominique Wolton, Informer n’est pas communiquer, Paris, CNRS éditions, 2009, p.74.